pièces in situ - deuxième groupe d'intervention

L'HOMME-BRECHE

L'HOMME-BRECHE

PHOTOGRAPHIES
TEXTES

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TEXTE

L’Homme-Brèche ramasse, récolte des magazines aux alentours de sa maison de carton.
Il voit quelqu’un.
HB : Bonjour !
INTERPELLE :
(certainement) Bonjour.
HB : C’est gentil de me rendre visite…Quelqu’un vous a donné mon adresse ?…C’est formidable…Entrez, je vous en prie…
Il indique la porte de sa maison de carton.
La personne entre.

HB : Ne faites pas attention au désordre, je suis en plein travaux…Asseyez-vous, asseyez-vous…
Il indique l’une des piles journaux, au sol. La personne s’assied, HB aboie.
HB :
(à une image de chien collée sur la paroi) Couché Papier ! (à son visiteur) C’est mon chien, il est un peu nerveux quand il y a du monde. Ne faites pas attention. Il s’appelle Papier. (HB aboie) Couché, vilaine bête ! On aboie pas après les invités. (à l’invité) Excusez-moi, il n’est pas très bien élevé…Est-ce que je peux vous inviter à faire semblant de boire quelque chose ? Thé ? Café ?
Selon le choix, HB découpe le produit correspondant dans un prospectus et le trempe dans une tasse. De la théière, il verse dessus une eau absente.
HB : Attention, c’est très chaud. Ne vous brûlez pas.
Il boivent l’un et l’autre précautionneusement.
HB : Des petits gâteaux ? Je me disais qu’il manquait quelque chose …
(HB découpe des boîtes de gâteaux qu’il dépose dans une soucoupe, la tend à l’invité)
HB : Je vous en prie.
Ils mangent l’un et l’autre, boivent. S’il y a des questions, HB ne répond pas, sourit
HB : Vous êtes bien ? Vous trouvez que je vous reçois bien ?
INVITE :
(certainement) Oui…Très bien…
HB : Merci. Mettez-vous à l’aise. Vous êtes en zone de sécurité ici…
(Il montre les murs de la maison). J’ai quelque chose pour vous. (HB découpe un journal et tend à l’invité un texte préparé) Tenez, c’est de la conversation entre nous. De la belle conversation. Vous lisez. Je pense que ça vous ira très bien. C’est vous l’invité. Allez-y, lisez…
INVITE :
(lit et continuera de lire) Vous êtes bien installé.
HB : Vous trouvez ?
INVITE : Oui, c’est très confortable, ici.
HB : Je vous remercie.
INVITE : Vous avez tout le confort moderne.
HB : C’est important, vous ne trouvez pas, le confort moderne ?
INVITE : Oui, tout à fait, tout à fait d’accord avec vous.
HB : Vous avez vu mes réfrigérateurs ? Dans la cuisine, derrière vous…A côté de la planche à repasser. Il y en a quatre. J’aime bien les réfrigérateurs. C’est rassurant. On ne meurt pas de faim avec quatre réfrigérateurs chez soi. Et puis un réfrigérateur, c’est toujours seul dans une maison. Ça s’ennuie. La solitude du réfrigérateur, on en parle pas assez. Quatre réfrigérateurs, c’est comme une bande de copains, ça rigole ensemble, c’est beau. Vous n’êtes pas d’accord ?
(Il aboie) Papier ! Un peu de
silence, je te prie…
INVITE : Vous êtes super équipé ! C’est impressionnant !
HB : Ah, vous êtes observateur (trice). Mais je vous présente…Mes deux machines à laver, micro-onde, gazinière à convection naturelle, aspirateur traîneau, ma centrale à repasser à vapeur...
INVITE : Vous n’avez pas de téléviseurs ?
HB : Non, je ne regarde pas la télé. Les programmes ne sont pas bons. Vous n’êtes pas d’accord avec
moi ?
INVITE : Ça dépend. Il y a tout de même des émissions qui tiennent la route.
HB : Ah bon… peut-être…Mais je préfère regarder le micro-onde, c’est meilleur pour l’imagination. Et puis de toute façon, je n’ai pas de toit pour la parabole.
INVITE :
(regarde en l’air) Effectivement…Votre thé est excellent.
HB : Un peu plus ?
(ressert) Je le fais venir de Chine. (il aboie) Papier, tu es insupportable ! Shut up, please !…(à l’invité) Excusez-moi.
INVITE : Je vous en prie, j’adore les chiens.
HB :
(continue la visite, une autre paroi) Ici, nous sommes dans le salon.
Vous avez le canapé cuir convertible, la hi-fi, les enceintes, 75 watts, l’ordinateur, le portable, l’imprimante, l’appareil photo numérique, un réfrigérateur…ah tiens, là aussi…eh bien ça fait cinq, c’est bien, c’est bien…
(change de paroi) Nous pénétrons maintenant dans la chambre à coucher, lumières d’ambiance, futon 17 cm, sommier japonais, parquet en noyer…Tiens, encore un réfrigérateur…Quelle surprise ! Je vous avais bien dit que nous étions en zone de sécurité…
INVITE : Vous avez un sens esthétique très puissant.
HB : N’est-ce pas…Je vous ai présenté ma petite famille ?
(sur une autre paroi désigne deux photos de poupées) Mes filles. Judith et Alexandra...(aux images) Les filles, on dit bonjour à monsieur (madame)…Bonjour…Bonjour…(désigne à côté le contour découpé d’une silhouette très sexy) Ma femme… elle est partie il y a quelques temps…Elle doit revenir d’une minute à l’autre…Vous aurez peut-être l’avantage de la rencontrer…(il aboie) Oui, Papier, oui…(à l’invité) Papier est très impatient de revoir ma femme…
Il poursuit la visite.
Ici, ma voiture rouge, mon VTT jaune, ma table de ping-pong bleue, ma porte de garage blanche, mon gazon vert, mes fleurs roses, ma boîte aux lettres verte…Vous l’aimez ma boîte aux lettres verte ?
INVITE : Beaucoup. C’est la couleur des boîtes aux lettres que je préfère. Elle paraît très profonde.
HB : Vous avez mis le doigt dessus. Elle est très profonde ma boîte aux lettres verte.
INVITE : Aussi profonde que le monde.
HB : C’est ça, c’est exactement ça. Bravo l’observation.
INVITE : Bien, je vous laisse.
HB : Oh, déjà ?
INVITE : J’ai un rendez-vous qui ne peut pas attendre
HB : Dans ce cas, je ne vous retiens pas.
INVITE : Merci pour l’invitation. C’était somptueux.
(fin de réplique de l’invité)
HB : Avec plaisir, quand vous voulez.
Ils se lèvent.
HB : Au revoir, monsieur. Ravi, vraiment ravi.
INVITE :
(certainement) Au revoir, monsieur…
HB : Repassez bientôt, vous êtes une lumière étincelante.
(il aboie) Papier vous dit au revoir. Vous ne dites pas au revoir à Papier ?
INVITE : Au revoir, Papier.
L’invité part et HB rentre dans sa maison, referme la porte. Il aboie.
HB : Couché le chien, couché le bon chien.
HB reprend sa petite vie plate de découpage. Il sifflote, il aboie, il est bien. Vie plate et profonde…Un moment il lèvera la tête et semblera reconnaître quelqu’un, l’invite à entrer et le cycle recommence, parfaitement identique.
A un moment, le cycle d’invitation dans sa maison de carton s’interromp, parce qu’HB reconnaîtra quelqu’un d’autre. Il le fera entrer. Puis très vite une troisième personne, une quatrième, etc…C’est ainsi que sa maison se remplit et qu’il est lentement rejeté, contenu à l’extérieur.
Voilà, sa maison est pleine et lui est dehors. Il fait le tour de sa maison pleine, tuile lui-même. Passe les mains par les trous qui servent de fenêtres…

HB : Vous ferez bien semblant de boire quelque chose ?…Thé ? Café ?…Servez-vous…Attention, c’est chaud…Pas brûlé…
(il aboie) Vous pas brûlé, chaud, chaud, ouaf…
Il fait le tour de sa maison, de plus en plus fébrile, passe les mains, les pieds par les fenêtres, comme s’il voulait encore appartenir à l’endroit, aboie de plus en plus…
HB : Vous chez moi ! Moi, chez vous ! (aboie) Pas faire dérangement, vous faire ménage, tout bien rangé, pas salir, tout bien rangé, bien maison, bien ouaf. Vous chez moi, moi chez vous partir, faire vaisselle vous, lessive, repasser, pendre linge, voir ma femme, torcher bébé, pas brûlé, chaud, chaud, ouaf ouaf, gentil chien, donner manger, dormir mes filles, école conduire, ouaf, brave bête, moi chez vous, couché Papier, croquettes bébé, vous pas manger tout, respect frigérateur, réfrigé respect, ouaf, ouaf, ouaf…
Il s’éloigne, tout à fait devenu quelqu’un d’autre.
Un chien.
Il est plutôt joyeux. Il demande des caresses, s’allonge aux pieds des passants, poursuit sa promenade à la découverte du quartier.